mardi 4 septembre 2012

"Il faut une taxe climat aux frontières de l'Europe", Le Monde, 22 août 2012


LE MONDE | 22.08.2012 à 12h44 • Mis à jour le 23.08.2012 à 11h32
Propos recueillis par Hervé Kempf

Monique Barbut, le 7 août, à Saint-Maxime, dans le Var.

Le comité de direction du Fonds vert pour le climat se réunit à Genève, en Suisse, à partir du 23 août. Depuis sa création officielle en 2011, à la conférence de Durban (Afrique du Sud), il vise à rassembler des sources de financement - 100 milliards de dollars (80,6 milliards d'euros) par an attendus à partir de 2020 - afin d'aider les pays en développement à mettre en oeuvre leur transition énergétique et leur adaptation au réchauffement.




Il vient s'ajouter à d'autres fonds existants, dont le principal est le Fonds pour l'environnement mondial, créé en 1991. Monique Barbut en a été la présidente de 2006 jusqu'au 1er août 2012. Experte avisée des négociations sur le climat, elle porte un diagnostic sévère sur leur évolution.

Où en sont les négociations mondiales sur le climat ? 

Le résultat de la conférence de Durban, fin 2011, a été de dire qu'en 2015, on discuterait d'engagements pour 2020... Mais que va-t-on faire entre 2012 et 2020 ? On n'en sait rien. En fait, depuis Copenhague en 2009, la négociation ne porte plus sur les engagements de réduction quantitative des émissions de gaz à effet de serre, alors que c'est ce qui compte. On ne discute que sur des sujets accessoires, tels que les modalités du Fonds vert pour le climat. Le problème, c'est que dans quinze ans, nous disent les scientifiques, il n'y aura plus rien à faire pour empêcher le changement climatique, il sera trop tard.

Comment pourrait-on débloquer la situation ?

Cette négociation ne peut reprendre que si les Européens décident d'adopter des positions volontaristes. Mais pas volontaristes vis-à-vis de l'Europe, parce que les Européens ont assez donné - ils sont les seuls à avoir pris de vrais engagements et à s'y tenir - mais vis-à-vis des autres.

Que recommandez-vous ? 

Une taxe climatique aux frontières, un protectionnisme environnemental. Les Européens devraient rappeler qu'ils ont décidé de réduire leurs émissions, mais qu'ils ne peuvent pas laisser dépérir leurs industries au seul profit des autres grands pays. Dès lors, ils pourraient imposer à l'entrée de l'Europe une taxe sur les produits qui, par leur processus de fabrication, contiennent plus de CO2 que ce qui est autorisé pour les produits fabriqués en Europe. On pourrait exempter de ces taxes les pays les plus pauvres, et dire par ailleurs qu'on affectera une partie des recettes à l'aide aux pays les plus pauvres ou au Fonds vert pour le climat. Mais la taxe climatique devrait être clairement posée.

Ne serait-ce pas un électrochoc violent ? 

S'il n'y pas d'électrochoc, la négociation climat est morte. Aujourd'hui, soit on reste dans l'hypocrisie en parlant d'un engagement pour 2020, soit on affirme qu'on veut vraiment stabiliser les émissions, et dans ce cas, on met tout le monde à égalité au travers d'une démarche commerciale.

Quel effet une taxe climatique aurait-elle sur la crise économique européenne ? 

D'une part, elle générerait des recettes importantes. D'autre part, elle recréerait une respiration, des possibilités d'activité, pour les productions européennes.

Pourquoi en est-on arrivé là ?

Parce que les Etats-Unis, les grands pays émergents et les pays producteurs de pétrole ont le même intérêt à ne pas aller au fond de la discussion. L'idée qui reste dominante aux Etats-Unis - défendue par George W. Bush - est que le changement climatique existe, mais que l'homme n'en est pas responsable, et que ce n'est pas en prenant des mesures sur l'activité humaine qu'on va le régler. Même si ce n'est pas la position de l'administration de Barack Obama, c'est celle du Congrès, qui bloque toute avancée.
Quant à la Chine, ses dirigeants veulent continuer leur développement à un rythme soutenu. Ils cherchent des modes de production plus économes. Mais ils ne veulent pas prendre d'engagement tant qu'ils n'auront pas ces solutions. Ils ne veulent pas se lier les mains.

Le conseil du Fonds vert pour le climat se réunit le 23 août. Est-il utile ? 

Il existe plus de 200 fonds dévolus au climat, des petits, des moyens, des multilatéraux, des bilatéraux... Chacun dispose de son secrétariat et de ses procédures. C'est une déperdition de ressources, car la gestion absorbe au moins 10 % de chaque fonds. Trois structures émergent de cette galaxie : le Fonds pour l'environnement mondial, le plus important, les "Climate investment funds", gérés par la Banque mondiale, et le Fonds d'adaptation du protocole de Kyoto. Ensemble, ils représentent 2 milliards de dollars par an. Le Fonds vert va venir les concurrencer.

Il va gérer 100 milliards de dollars par an... 

Les pays en développement ont compris qu'il y aurait un flux d'aide budgétaire de 100 milliards par an. Mais pour les Etats donateurs, ces 100 milliards doivent provenir à 95 % du secteur privé : les pays devraient adopter des politiques permettant que les entreprises aient envie d'investir dans les technologies qui sont bonnes pour le climat.

C'est-à-dire ?

Beaucoup de pays pauvres subventionnent les énergies fossiles. Si l'on supprimait ces aides, l'énergie solaire deviendrait plus avantageuse. Mais les Etats s'y opposent car il faudrait que le remplacement des fossiles par les renouvelables se fasse immédiatement, sinon il se produira de graves crises sociales.
Plutôt que de créer un nouveau fonds,on pourrait en faire une espèce de conseil d'administration qui orienterait l'action des trois grands fonds déjà existants. Mais tout cela ne sert pas à grand-chose si des engagements quantitatifs de réduction des émissions ne sont pas pris. Voilà pourquoi il faut plutôt commencer par réanimer la négociation globale, en lançant la taxe climatique aux frontières.
Propos recueillis par Hervé Kempf
Des plans nationaux contre la sécheresse
"Le changement climatique devrait entraîner une augmentation de la fréquence, de l'intensité et de la durée des sécheresses", a déclaré, mardi 21 août, le secrétaire général de l'Organisation météorologique mondiale (OMM), Michel Jarraud.
Selon lui, les autorités doivent abandonner "les approches au coup par coup" pour mettre en place "des politiques nationales concertées de lutte contre la sécheresse fondées sur la gestion des risques".
L'Australie est le seul pays à avoir développé une telle politique, selon l'OMM. - (AFP.)


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