mardi 19 mars 2013

Zone humide de Guerbès à Skikda : un projet pétrochimique fait polémique

Khider Ouahab, à propos des réactions de protestation contre le projet pétrochimique de Sonatrach
El Watan, le 16.03.13

Un communiqué commun signé par deux associations locales, Les Amis de Skikda et Ecologica, est venu s'immiscer dans le débat déjà assez passionnel que nourrit la vox populi dans la ville de Skikda depuis l'annonce faite par Sonatrach d'implanter un méga-pôle pétrochimique à proximité de la zone humide Guerbès-Sanhaja.

Le communiqué, qui exprime au préalable «des réserves légitimes» des deux associations quant au «devenir écologique de la zone humide classée et protégée», propose, à tort ou à raison, d'installer «ce nouvel embryon industriel à la place du complexe pétrochimique CP1K qui est en voie d'être démonté, à moins qu'il ne faille trouver ailleurs, dans le pays, un endroit plus propice qu'à Skikda», lit-on dans ledit communiqué.

Les deux associations, Les Amis de Skikda et Ecologica, estiment, dans leur conclusion, qu'elles ne font à travers cet écrit qu'exprimer «les inquiétudes sincères de la population de Skikda et ses environs».   Pour revenir au projet, selon des sources crédibles, il s'agit d'un complexe pétrochimique composé d'une vingtaine d'unités qui vise à s'étaler sur une superficie de 600 à 700 ha. Sa vocation essentielle reste la valorisation de l'industrie pétrochimique en générale et le naphta en particulier. Le désir de Sonatrach d'implanter ce complexe à Guerbès a été révélé par M. Zerguine lors de son dernier déplacement à Skikda le mois dernier.

Prospection pour le choix du site

Les mêmes sources avancent également que des prospections relatives au choix de l'assiette devant abriter le complexe sont déjà en cours. «Le site convoité par Sonatrach est à moins de 3 km des limites nord-ouest du périmètre de la zone humide de Guerbès Sanhaja. Il commence à quelques encablures de Marsat Bel Abbès, où gît l'épave du Sophia, un navire échoué  le 7 mars 2008, pour s'étendre en amont vers l'ouest», expliquent nos sources. Quant aux motifs ayant conduit au choix de cet emplacement, les mêmes sources avancent que Sonatrach envisage, a priori, d'implanter ce complexe dans la zone industrielle de Skikda. «Le PDG a d'ailleurs exigé, lors de son dernier déplacement à Skikda à ce qu'on libère le maximum d'espace dans la zone, quitte à délocaliser les blocs administratifs. A mon avis, le choix de Guerbès reste une voie de secours qui sera retenue au cas où on ne parviendrait pas à trouver les 600 ha nécessaires au projet pétrochimique.»

Au sujet des raisons ayant mené Sonatrach à retenir l'option de Guerbès, nos sources avancent plusieurs argumentations : «Il y a d'abord la proximité avec la côte et avec les pipes de Sonatrach, qui envisage même de construire un port dédié exclusivement à l'exportation des produits du complexe. L'atout majeur c'est également les retombées socioéconomiques sur cette région déshéritée. N'oubliez pas que ce projet offrira 30 000 postes d'emploi direct, ce qui n'est pas rien.» Ces avantages ne semblent néanmoins pas convaincre certaines associations locales.

Appels à un débat public

Pour Souames Radouane, maître assistant à l'université de Annaba et président de l'association pour la protection de l'environnement Ecologica, le projet mérite un débat de fond avec l'ensemble de la société pour mieux cerner ses avantages et ses inconvénients. Lors d'un débat improvisé, il a accepté à revenir aux «fondements» qui emmènent l'association qu'il préside à émettre des réserves quant au projet de Sonatrach. «La décision de Sonatrach d'implanter un complexe pétrochimique à Guerbès est venue comme un cheveu sur la soupe, remettant pas mal de questions à l'ordre du jour. Elle tombe vraiment au mauvais moment, car notre lutte était axée sur l'urgence de parachever le plan de gestion de cette zone ainsi que son classement en aire protégée. Et voilà que la pétrochimie vient s'en mêler, au risque de rajouter au marasme d'un eldorado naturel que nous ne parvenions déjà plus à préserver.» Prié d'aller au fond des choses et d'expliquer clairement les raisons qui poussent Ecologica à voir d'un si mauvais œil le projet de Sonatrach, M. Souames répond que la configuration spatiale de la région laisse envisager que le complexe pétrochimique sera vraisemblablement implanté en dehors des limites de la zone humide, mais que cela ne devrait pas rassurer pour autant.

Il explique : «Si Sonatrach envisage d'implanter son complexe pétrochimique à l'ouest de la zone – et c'est l'unique emplacement possible – il  est important de relever que non loin de cette aire se trouve un site archéologique des plus importants de la wilaya de Skikda ; il s'agit des vestiges de l'ancienne Paratianis, une cité romaine prospère chère à saint Augustin. D'ailleurs, en reconnaissance de l'importance de ce site, le ministère de la Culture l'a retenu parmi les sites archéologiques du pays devant bénéficier d'un plan de protection. Une enveloppe financière conséquente a même été allouée pour préserver le site, qui abrite des vestiges, les 'Ruines saintes' et des  piscines d'eau de mer très rares en Algérie. Pourquoi alors prendre le risque d'anéantir tant d'efforts et tant de richesses ? Nous nous permettons de nous le demander et nous espérons que Sonatrach, qui reste qu'on le veuille ou non une entreprise citoyenne, puisse comprendre nos préoccupations qui, on n'en doute pas, sont certainement aussi les siennes.»

jeudi 7 mars 2013

Perspectives du développement durable en Tunisie : appui à l’initiative économique verte

À propos de la feuille de route tunisienne pour Rio+20
La Presse de Tunisie, 05/03/13

Les orientations fondamentales pour une feuille de route nationale servant à la mise en œuvre du document final de la conférence des Nations unies sur le développement durable Rio+20, et les moyens de sa concrétisation en se basant sur l'économie verte, le financement et le commerce international, tels sont les thèmes débattus par des experts, chercheurs et économistes tunisiens et étrangers lors du séminaire international de Tunis organisé aujourd'hui mardi, à Gammarth, (banlieue nord de Tunis).

Portant sur le thème de la feuille de route nationale pour Rio+20, le séminaire s'inscrit dans le cadre du suivi des recommandations issues de la conférence des Nations unies sur le développement durable qui s'est déroulé le 23 juin 2012, à Rio de Janeiro (Brésil), sur le développement durable et l'économie verte.

A l'ouverture des travaux, la ministre de l'Environnement, Mamia El Banna, a relevé que ce séminaire vise à dynamiser les moyens susceptibles de réaliser le développement durable suivant un nouveau modèle. Un modèle qui repose essentiellement sur l'économie verte et le commerce international. Elle a fait savoir que la situation transitoire de la Tunisie dans les différents domaines constitue une occasion pour élaborer un modèle de développement qui répond au mieux aux conditions sociales et économiques actuelles. La ministre a, à ce propos, mis l'accent sur l'importance de la restructuration du cadre institutionnel national de développement, le renforcement de l'initiative économique verte, ainsi que les opportunités d'emploi dans l'économie verte qui constitue l'un des domaines prometteurs dans le système national de l'emploi.

Elle a fait observer que le ministère se penche actuellement sur l'élaboration d'un plan de travail dans l'objectif notamment d'identifier des mécanismes innovants de financement pour soutenir le passage à l'économie verte, ainsi que la formation et le développement des compétences dans ce domaine, citant dans ce contexte l'initiative à créer, au sein du ministère, un bureau d'appui à l'économie verte.

Dans son intervention transmise depuis le Liban via skype, Roula Majdalani, chargée du département du développement durable et de la productivité à Beyrouth, a évoqué le cadre institutionnel international du développement durable et les propositions formulées pour le promouvoir après Rio+20.

Elle a également donné un aperçu du plan de développement des Nations unies après 2015, ainsi que du groupe de travail volontaire chargé de la concrétisation des objectifs du développement durable. D'autre part, elle a parlé des grandes thématiques qui seront évoquées au cours de la prochaine réunion régionale arabe sur le développement durable, prévue au mois d'avril 2013, s'agissant des besoins de financement pour le passage à l'économie verte, ainsi que de la modernisation de l'initiative arabe pour le développement durable et les priorités de la région.

Au programme du séminaire organisé par le ministère de l'Environnement en collaboration avec le bureau Pnud à Tunis (Programme des Nations unies pour le développement), figurent plusieurs interventions portant essentiellement sur «Le commerce international et les financements innovants au service du développement durable» et «La responsabilité sociétale des entreprises».

Pour rappel, la Tunisie abritera au cours de cette année la réunion régionale arabe sur le développement durable et la 5e session extraordinaire de la conférence des ministres africains de l'Environnement.


vendredi 1 mars 2013

Vers une société postcarbone

Par Hugues de Jouvenel, à propos de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre
Éditorial de la Revue futuribles, n° 392, janvier 2013

Bonne année chère lectrice, cher lecteur. Je vous avais annoncé que la revue Futuribles deviendrait bimestrielle à partir de janvier 2013. Voici donc le premier cru de cette année nouvelle, dont j'espère que vous apprécierez le contenu. Fidèle aux préoccupations qui ont toujours été les nôtres, ce premier numéro de l'année est très largement consacré à l'essor de la société postcarbone ainsi qu'à la croissance verte.

Les lecteurs de Futuribles sont bien au fait des défis planétaires liés à la hausse de la demande en énergie, notamment celle d'origine fossile, et au changement climatique, qui résulte très largement des émissions croissantes de gaz à effet de serre, défis auxquels nous avons déjà consacré une large place dans les colonnes de notre revue. Peut-être même ont-ils noté la publication récente de trois études plus alarmantes les unes que les autres, qui révèlent combien, faute d'actions vigoureuses, s'aggrave le risque d'un réchauffement climatique dépassant largement les 2 °C en 2100 par rapport à 1990.

L'échec de la 18e conférence de l'Organisation des Nations unies sur le climat, qui s'est achevée le samedi 8 décembre à Doha (Qatar), ne leur aura pas non plus échappé : la déclaration finale se contente de réaffirmer l'ambition d'adopter un accord lors de la conférence suivante, en 2015, pour une entrée en vigueur en 2020. Le Canada, le Japon et la Russie ont décidé de se retirer du processus de négociation dans lequel les États-Unis eux-mêmes n'étaient jamais entrés. Seuls l'Europe, l'Australie et une dizaine d'autres pays — ceux-là ne représentant ensemble que 15 % des émissions — ont renouvelé leur engagement. Le tiendront-ils ?

Nos lecteurs sont assurément familiers de l'objectif « facteur 4 » (visant à diviser par quatre le volume des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050 par rapport à leur niveau de 1990). Celui-ci a en effet été inscrit, en France, dans la loi de programmation de juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique du pays, et a ensuite été réaffirmé par les lois Grenelle I et II, puis à nouveau par le président de la République lors de la Conférence environnementale de septembre dernier.

Dans la même optique a été constitué un « Conseil national du débat sur la transition énergétique », qui s'est réuni pour la première fois le 29 novembre 2012 et doit, une fois de plus, orchestrer un large débat censé conduire, en 2013, à une loi de programmation sur l'énergie. La question finit par se poser : n'y a-t-il en ces matières que de vaines palabres et une inflation de textes législatifs et réglementaires ? Heureusement, non.

En témoigne, par exemple, le programme copiloté par la Mission prospective du ministère français de l'Écologie et l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), « Repenser les villes dans une société postcarbone », dont le rapport final est prévu en 2013 et sur lequel s'appuie notre dossier spécial coordonné par Jacques Theys et Éric Vidalenc. Pourquoi s'être concentré sur les villes ? Parce qu'elles contribuent pour plus des deux tiers à la consommation mondiale d'énergie et pour plus de 70 % aux émissions totales de CO2.

Mais aussi, affirment Jacques Theys et Éric Vidalenc, parce qu'elles maîtrisent en grande partie les leviers indispensables pour promouvoir une société postcarbone (le foncier, le logement, les transports…). Et que, de fait, de nombreuses villes européennes (Göteborg, Malmö, Fribourg-en-Brisgau, Copenhague…) jouent aujourd'hui un rôle pionnier. Que peut-être, comme l'affirme plus généralement Jean Haëntjens, « pendant que les États s'épuisent à courir après une croissance qui les boude, certaines villes […] préparent l'avenir ». En somme, tout se passe comme si le slogan « penser globalement, agir localement » correspondait bien aux pratiques que l'on observe aujourd'hui.

Et, cependant, on voit combien, plutôt que d'opposer le local au global, il est nécessaire de travailler simultanément à différentes échelles géographiques, comme du reste en intégrant les différentes échelles de temps. Un exemple à lui seul en témoigne. Le président de la République française a indiqué vouloir privilégier l'efficacité énergétique et la sobriété. Il s'est même engagé à mettre aux meilleures normes environnementales un million de logements neufs et anciens par an [1].

Nous pourrions tout aussi bien affirmer l'objectif d'abolir l'usage des automobiles particulières ou, du moins, leur circulation. Le problème est que nous devons aussi tenir compte d'inéluctables inerties — liées, par exemple, au bâti et à son implantation spatiale, que nous ne saurions renouveler du jour au lendemain. Sans même parler ici des contraintes financières, qu'il s'agisse des revenus des ménages ou des finances publiques qu'il faudrait mobiliser en dépit des restrictions actuelles...

Maintenant, tout le monde s'accordera à reconnaître que, plus long est le temps nécessaire pour opérer ces transformations, plus tôt il convient de les entreprendre, et que nul ne saurait se dispenser d'innover au prétexte que les autres s'en abstiennent.

[1]. « Discours d'ouverture de François Hollande à la Conférence environnementale », 14 septembre 2012, portail du gouvernement. URL: http://www.gouvernement.fr/gouvernement/discours-d-ouverture-de-francois-hollande-a-la-conference-environnementale-le-14-septem. Consulté le 12 décembre 2012.