mardi 30 avril 2013

Docteur Hocine Bensaâd, expert en risques et prévention en hydrocarbures : "L’exploitation du gaz de schiste est une aventure"

Mehdi Bsikri, à propos de l'exploitation du gaz de schiste (interview du Docteur Hocine Bensaâd)
El Watan, le 27.04.13

Le docteur Hocine Bensaâd estime qu'il devient impératif de mettre en place une véritable politique énergétique pour le pays ; il soutient que les pouvoirs publics cachent à l'opinion publique des informations concernant les opérations d'enfouissement de gaz carbonique au Sahara.

Quel bilan pouvez-vous présenter concernant le domaine énergétique algérien ?
 
En 1971, l'Algérie n'a pas nationalisé les hydrocarbures. Elle a pris 51% des parts de la production. Mais même avec le nombre limité de compétences, les Algériens ont pu, malgré le chantage des Français, relever le défi et continuer à forer, explorer et à exporter.
L'argent acquis a beaucoup servi à la politique nationale de développement, comme la construction d'écoles et l'accès à la médecine gratuite. Malheureusement, la seconde étape, durant les années 1980, les capacités de l'Algérie ont été surestimées. Au lieu de continuer dans le même élan de développement social et économique, le gaspillage a commencé, avec en première ligne l'introduction du fameux plan antipénurie. En 1986, avec la chute des cours du brut, l'Algérie ne pouvait plus payer l'emprunt qui était de 38 milliards de dollars. Durant les années 1990, il y a eu la privatisation du tissu industriel et le départ de plus de 100 000 cadres algériens, d'après les chiffres de l'OCDE. Par ailleurs, compte tenu du fait que les principales ressources du pays sont les hydrocarbures, force est de souligner que pour un dollar exporté, 10 dollars sont importés.
Aujourd'hui, nous entrons de plain-pied dans la globalisation, mais nous n'avons pas établi une réelle stratégie de développement énergétique du pays. Il n'y a pas de débat ouvert

Cependant, il semble que rien n'est fait contre la corruption…
 
Le monde actuel connaît des changements. Mais il est purement question de la sauvegarde de la souveraineté, de l'indépendance et de l'intégrité du territoire. En parlant de corruption, il s'avère que Sonatrach est la vache laitière de l'Algérie. Je n'ai jamais vu un bilan de Sonatrach ou de Sonelgaz sur les montants investis. Quel a été le retour sur investissements ? Le ministre actuel de l'Energie parle d'investissements colossaux de Sonatrach depuis l'indépendance. Or, on n'a jamais demandé des comptes à des responsables.

Un mixte énergétique est-il possible à développer dans le cadre d'une stratégie ?
 
Avant de parler de mixte énergétique, la première des choses à noter est qu'en 1962, l'Algérie comptabilisait 9 millions d'habitants. Aujourd'hui, la population a été multipliée par 4, même si le niveau de vie a évalué par rapport à la situation post-indépendance. Donc, il faut tracer des objectifs. Dans 40 ans, quels seront la démographie et les besoins de la population;, en transport, en nourriture… Le constat qu'on doit d'abord faire est que, malheureusement, on a appris à l'Algérien à gaspiller. On peut parvenir, avec un politique judicieuse, à baisser la consommation d'énergie d'au moins de 30%.

Quand on fait un tour dans les magasins, il n'y a aucune législation interdisant l'importation de produits énergivores. L'Algérie est devenue un véritable dépotoir.

Autre exemple, l'importation de 400 000 voitures chaque année. Si chaque voiture roule 10 000 km, avec une consomation de 10 litres au 100 km, et avec tous les rejets, nous participons directement à la pollution, notamment dans les grandes villes. Lorsqu'on importe, on transfère des devises. Cela veut dire faire travailler d'autres industries et on oublie le chômage local. Les automobilistes doivent payer le prix réel de l'essence qui est actuellement subventionné par l'Etat.

Et puis, il faut une taxe sur les émissions carboniques pour sanctionner directement ceux qui circulent sans raison. Pour les lampes, la plupart, viennent de Chine, mais sans aucun contrôle au niveau des frontières. Nous avons une crise de logement, mais l'Etat continue à construire en béton, qui consomme énormément d'énergie, été comme hiver. Si les matériaux de construction étaient choisis convenablement, avec une meilleure réglementation, la consommation d'énergie serait réduite.

Les officiels évoquent l'épuisement des réserves d'hydrocarbures. Que pensez-vous de ces annonces ?
 
Comment les officiels peuvent-ils le savoir, car ils ne démontrent pas comment cela a été calculé. Il faut préciser que 80% du domaine minier algérien n'a pas été prospecté. Secundo, qui l'affirment : les Algériens ou l'agence internationale de l'énergie (AIE) ? Cette agence, faut-il le rappeler, a été créée en 1974, par les pays consommateurs, pour faire face à la crise de 1973, déclenchée après la guerre d'octobre (pays arabe contre Israël). L'AIE défend les intérêts des pays consommateurs et de ceux qui la financent, entre autres les compagnies pétrolières. L'AIE peut dire une chose aujourd'hui et le lendemain son contraire.

C'est une stratégie de communication. En 2012, un tapage médiatique a eu lieu pour faire pression sur l'Algérie afin de l'inciter à exploiter le gaz de schiste. C'est une véritable aventure. Si les médias lourds ont ouvert leurs portes aux officiels, il n'y pas eu un véritable débat national pour permettre aux experts et aux spécialistes, notamment en matière juridique, de donner leur avis. Un ensemble d'articles se terminent toujours selon «la réglementation» qui est d'ailleurs inexistante. Sur le plan juridique, il y a un vide extraordinaire. Je me demande si ce sont les Algériens qui ont rédigé les amendements de la loi sur les hydrocarbures promulguée en février dernier, ou croient-ils que les citoyens sont ignares pour ne pas comprendre.

Si ce ne sont pas les Algériens qui ont rédigé les amendements, qui est derrière ?

 
Les sociétés PB, Total, Statoil, ENI, Shell et autres compagnies connaissent très bien le pays. Elles l'ont même connu à des moments très difficiles. Ces compagnies sont pour la plupart situées dans des régions frontalières. Il est bien évident qu'elles voudraient forcer les Algériens à exploiter le gaz de schiste, tant il est vrai que le pays a énormément d'argent. L'exploitation de gaz de schiste est excessivement chère. Un seul puits de forage coûte 13 millions de dollars. Et un seul puits ne donne que 30% de sa capacité. Les dirigeants d'Exxon Mobil disent avoir laissé leurs chemises dans cette exploitation aux Etats-Unis. Le PDG de Total dit qu'au Texas, il y a laissé des plumes. Il s'attendait à  ce que le million de BTU soit vendu entre 6 et 8 dollars, il se retrouve à le vendre à 3 dollars. Par contre, s'ils peuvent le faire en Algérie, ils viendront. Les Algériens vont tout financer. Si c'est négatif, ils peuvent toujours partir. En plus, la technologie qu'il faut acquérir coûte cher. Pour les Américains notamment, le seul souci c'est de vendre le matériel de forage. Par ailleurs, un seul puits peut consommer 20 000 m3 d'eau douce pure, sans taux de salinité, puisque le sel est corrosif. Ajouter à cela le mélange à cette eau de produits chimiques. Cette eau, transportée dans des centaines de camions, 5000 en moyenne par puits, sera pompée de l'albien. Pour l'albien, il y a deux nappes, l'une au-dessus de l'autre. Et en Algérie, on en aurait pour de 40 000 milliards de mètres cubes d'eau.

Existe-t-il une alternative autre que le pétrole et le gaz ?
 

Pour le moment, il n'y a pas d'alternative au pétrole et au gaz. Il faut développer l'énergie solaire. Dans le domaine des constructions, personne n'interdit d'installer des capteurs solaires pour l'eau chaude et des panneaux photovoltaïques pour alimenter les ordinateurs, l'énergie solaire est une énergie démocratique. Son installation coûte cher, mais elle peut rentabiliser. Depuis 1975, on parle d'énergie solaire en Algérie, mais comme il y a le gaz et le pétrole, ça bloque. Quel que soit le pays, les énergies nouvelles ne se substitueront pas aux énergies fossiles. Il faut penser dès maintenant à utiliser les barrages que nous construisons pour la production de l'électricité : l'hydroélectrique.

Vous avez exposé récemment le problème de l'enfouissent du CO2 au sud d'In Salah…

 
Il existe 4 sites d'enfouissement de CO2 dans le monde, dont celui du site gazier d'In Salah, géré par Statoil et PB qui sont associés à Sonatrach. Lorsqu'il y a extraction de gaz naturel, il y a séquestration de gaz carbonique, pour qu'il ne soit pas torché. Il est séquestré dans une poche saline de 1550 m. Mais ce qui est très grave, on ne parle pas de cette séquestration en Algérie et cela depuis 20 ans. Statoil et PB font de la séquestration dans des sites qui ont été abandonnés. Je n'ai personnellement pas vu les études sur le comportement une fois le CO2 enfoui. C'est devenu un champ d'expérimentation à grande échelle. Le financement des travaux de recherches de séquestration à In Salah provient du secrétariat d'Etat américain et de l'Union européenne.

Environ 800 millions de tonnes de gaz carbonique sont enfouies. Dans d'autres pays, ils ont commencé d'abord par choisir des sites pour tester le comportement des sols. Des études ont lieu au Texas, au Queen Collège de Londres, en Norvège et au Japon, mais je n'ai vu aucun chercheur algérien dans un laboratoire, pour l'impliquer dans ces recherches.
Il y a une volonté de camouflage. Les données satellites qui mesurent l'élévation du sol sous la contrainte du CO2 montrent qu'elle est (l'élévation) de 4 millimètres chaque année.

Le laboratoire de recherche de Boston a arrêté la séquestration en juin 2011, car il y a eu détection de fuite de gaz carbonique. A 3%, le gaz carbonique est mortel. Comment est diffusé ce gaz carbonique dans la région d'In Salah ? La nappe albienne a-t-elle été touchée ou non ? Sinon, il y a forcément falsification des données. Et puis, à partir du moment qu'il y a eu des enfouissements, y a-t-il une surveillance ?

C'est toujours à travers les laboratoires de recherche qu'on obtient les informations, car les experts étrangers sont les seuls invités. Mais eux, ils publient notamment les anglophones. Car si on laisse les experts algériens travailler, ce sera divulguer les erreurs de Sonatrach. Il faut que les responsables rendent des comptes et comme ce n'est pas le cas, les gens croient qu'ils jouissent d'une immunité.

La ressource humaine est renouvelable : une population bien éduquée, des cadres bien formés, le pays sera entre de bonnes mains. Mais quand c'est le contraire, cela veut dire que la colonisation du pays est en marche. 

vendredi 12 avril 2013

Biodiversité : enjeu stratégique pour l’humanité

Slim Sadki, à propos du bilan de la biodiversité en Algérie
El Watan, le 12.04.13

L'atelier de restitution sur l'actualisation de la stratégie nationale de la préservation de la biodiversité s'est tenu les 7 et 8 avril à Sidi Fredj. El Watan Week-end fait le bilan de la biodiversité en Algérie.

Savez-vous que seulement 19 espèces végétales fournissent aujourd'hui 80% des denrées alimentaires de la population mondiale qui a atteint 7,1 milliards d'habitants le 1er janvier 2013 ? Savez-vous encore que les plantes sauvages et cultivées, animaux sauvages et domestiques qui ont donné ces variétés et contiennent surtout celles qui nourriront et soigneront les générations futures disparaissent à un rythme effrayant à cause de ce qu'on appelle l'érosion biologique ? Les spécialistes annoncent la sixième grande extinction qui, cette fois, est due à l'homme. Selon l' Union internationale de la conservation de la nature (UICN), une espèce animale ou de plante disparaît toutes les 20 minutes, soit 26 280 espèces disparaissent chaque année. Près d'un quart des espèces animales et végétales pourrait disparaître d'ici le milieu du siècle en raison des activités humaines.

La diversité du monde vivant, du monde biologique, est donc un enjeu majeur pour la communauté internationale, notamment depuis le sommet de la Terre de Rio en 1992, dont le grand public en a entendu parler pour la première fois à travers la convention internationale qui la concerne et qui a suscité d'âpres débats. Elle est en effet un bien précieux pour les services qu'elle rend, ressources pour les générations futures, fourniture d'oxygène, d'eau, puits de carbone, équilibre des écosystèmes et donc de leur productivité, des services utilitaires économiques, esthétiques, culturels, alimentaires, sanitaires… Mais c'est un bien précieux convoité par les industriels et les multinationales qui «brevètent le vivant», c'est-à-dire qu'ils s'approprient en droit les espèces, leurs variétés et leurs souches généralement spoliées dans les pays pauvres.

Biodiversité en Algérie

Depuis le sommet de la Terre de Rio I, des engagements ont été pris pour enrayer l'érosion et le pillage par les industries agro-industrielles et pharmaceutiques. Sans grand succès, même pendant la décennie 2000 qui lui a été consacrée ! Des stratégies ont été élaborées dans tous les pays pour tenter de freiner et d'inverser la tendance. En vain
Dès 1997, après la signature de la Convention sur la diversité biologique (CDB), l'Algérie s'est engagée dans un grand chantier de construction d'un édifice constitutionnel pour la préservation de la biodiversité. Un travail colossal du défunt le Pr Médiouni secondé par feu Sidali Ramdane du ministère de l'Environnement, et qui ont le mérite d'avoir fait un premier inventaire du patrimoine et jeter les bases de structures nationales opérationnelles. Comme c'est l'usage, cette stratégie vieille de 10 ans est en cours d'actualisation par le ministère de l'Aménagement du territoire, de l'Environnement et de la Ville (MATEV). Une équipe d'une trentaine de consultants, coordonnée par le Pr Aïssa Moali de l'université de Béjaïa, vient de rendre ses premiers résultats dans un atelier qui s'est tenu à Sidi Fredj.

Note optimiste

Tour à tour, la situation de la biodiversité dans les différents écosystèmes aquatique et terrestre et de celle de la faune et de la flore a été passée en revue. Si l'on a convenu que l'indispensable connaissance sur les espèces animales et végétales, de la plus grande à la plus infime, a globalement évolué grâce à la recherche universitaire encore trop faible mais aussi par l'apport plus concret d'études et de projet de classement, les menaces ont  pour leur part progressé à un rythme toujours aussi inquiétant : eaux usées, déchets solides, réduction des habitats, urbanisation, démographie, infrastructures, grands ouvrages hydrauliques, etc. montrent des courbes à croissance exponentielle. A la note optimiste apportée par le bilan de l'avifaune s'oppose celui des zones humides menacées carrément d'assèchement ou celui d'écosystème agricole où les pertes drastiques en variétés par le biais des importations de semences placent chaque jour davantage notre pays en dépendance directe des multinationales de l'agroalimentaire. A l'inverse, l'ignorance de notre patrimoine et la cupidité vident nos réservoirs de biodiversité aussi dangereusement que ceux des champs d'hydrocarbures.

Mourad Ahmim, Chercheur en écologie et environnement : Près de 75 espèces sont menacées en Algérie


Il existe dans notre pays 109 espèces de mammifères dont 75 sont menacées à différents degrés, c'est-à-dire 78,44% du patrimoine mammalogique algérien. Le braconnage est la menace majeure qui pèse sur eux, tout particulièrement sur les gazelles et grands artiodactyles, l'hyène rayée est systématiquement tuée et les chauve-souris disparaissent à cause de la destruction des biotopes. Les écrasements sur les routes achèvent les mangoustes, les genettes, les hérissons… Il faut prendre conscience que sans ces animaux, notre existence est appelée à connaître ce qui est appelé communément chez les scientifiques la rupture de la chaîne écologique. L'urgence est de limiter et réduire les menaces et les atteintes, ensuite de faire en sorte de mieux  les connaître pour protéger ces animaux qui sont nos auxiliaires. A titre d'exemple, la protection des chauve-souris évitera l'emploi de ces grandes quantités d'insecticides qui nous tuent à petit feu. Une seule chauve-souris peut manger jusqu'à 6000 moustiques par heure !

Salima Benhouhou, Maître de conférences en phytoécologie : Le manque de données retarde l'évolution de notre biodiversité

Notre patrimoine est représenté par une très grande diversité d'habitats et de formations végétales. Il est concentré dans le nord de notre pays. Le nombre total d'espèces végétales est estimé à 4000, dont environ 90% se trouvent dans le Tell. Avec 300 taxons endémiques et 1630 espèces rares, l'importance de la conservation de ce patrimoine n'est plus à démontrer. Il est très difficile d'estimer ce que nous avons perdu en matière de biodiversité floristique. Cela dit, il est probable que certaines régions d'accès difficile (ou dangereux) aient été préservées. Le manque flagrant de données de terrain actualisées constitue un handicap majeur pour apprécier l'évolution de notre biodiversité. Il est urgent de mettre en place un cadre global, cohérent, légalisé pour fédérer les travaux de recherche et fonder une base de données outil indispensable pour une gestion efficiente de notre patrimoine. La formation des jeunes, les futurs gestionnaires de cette biodiversité, est également une urgence, surtout lorsque l'on sait qu'à l'heure actuelle, il y a très peu de systématiciens.

Lounaci Abdelkader, Professeur à l'université de Tizi Ouzou : La croissance démographique dégrade les points d'eau

Des centaines d'espèces ont établi dans chaque point d'eau un réseau trophique complexe assurant un fonctionnement équilibré. Une telle richesse écologique traduit de grandes valeurs en biodiversité. Ces milieux ont cependant subi une dégradation sévère liée aux effets de la croissance démographique. Entre 1984 et 2010, beaucoup d'espèces ont disparu dans plus de la moitié des stations où elles ont été récoltées. D'autres ont vu leurs aires de distribution se réduire aux zones des sources et de leurs émissaires, d'autres encore ont carrément changé d'écologie. Nous avons pu observer des pullulations d'organismes très polluo-résistants ainsi que des vecteurs de maladies (paludisme, fièvre jaune, leishmaniose) et la raréfaction des poissons. Il convient d'élaborer une base de données pour regrouper celles taxonomiques, établir des cartes faunistiques (poissons et invertébrés) pour identifier des zones sensibles, soit fortement dégradées et à restaurer, soit encore préservées des activités humaines et donc à conserver. Cela permettra encore de planifier les éventuelles interventions d'aménagement pour valoriser les milieux naturels.

Rachid Amirouche,  Responsable de l'équipe biosystématique et génétique des plantes d'Alger : Les espèces spontanées représentent un potentiel inestimable

Le nombre de projets de recherche sur les espèces spontanées a augmenté durant la dernière décennie. Des études biologiques, cytogénétiques, biochimiques et sur les marqueurs moléculaires de l'ADN, sont menées chez nous sur diverses espèces d'intérêt scientifique, agroéconomique ou médicinal. Malgré des difficultés de logistique, très nombreuses, les résultats s'accumulent peu à peu notamment pour la caractérisation des espèces et des écotypes. Il faut savoir que l'écotype est une espèce donnée et qui est génétiquement adaptée à un milieu donné et à un facteur écologique comme la sécheresse ou la salinité. Ces populations représentent un potentiel inestimable. C'est en fait un réservoir où on peut puiser les gènes d'intérêt utiles dans les programmes de sélection et d'amélioration. C'est ce patrimoine phytogénétique qui fait aujourd'hui la convoitise des firmes internationales de l'agro-industrie. Il faut le protéger et le préserver. Ces espèces spontanées se sont formées au bout de plusieurs dizaines ou centaines de milliers d'années d'évolution ; leur disparition serait donc irrémédiable !

vendredi 5 avril 2013

Les six dangers qui menacent nos forêts

Nassima Oulebsir, à propos du rapport de la FAO sur l'état des forêts méditerranéennes
El Watan, le 22.03.13

La FAO a rendu public hier à Tlemcen son rapport sur l'état des forêts méditerranéennes. En Algérie, la situation est alarmante, car plusieurs dangers les menacent.

Les feux : 52 000 hectares brûlés en 2012


Pendant la décennie noire, les autorités algériennes ont abandonné la gestion des forêts. «Par mesure de sécurité, les forestiers se sont retirés en laissant à l'abandon les parcs nationaux, rappelle Reinhard Alexander Kastl, conseiller technique principal du projet régional Silva Mediterranea à GTZ (coopération internationale). Certaines zones sont restées sans plan d'aménagement.» Mohamed Harroun, expert forestier, insiste sur «l'inaccessibilité sur les lieux d'incendies et l'absence d'une bonne gestion».

Contrairement aux idées reçues, il ne faut pas «laisser la nature faire les choses. Et si plans il y a, ils ne sont pas actualisés et n'ont pas intégré les nouveaux aspects et critères de la prévention contre les feux de forêt», éclaire Reinhard Alexander Kastl. L'expert estime nécessaire une meilleure collaboration des forestiers avec les autres intervenants : la Protection civile bien sûr, mais pas seulement. Contrairement aux Marocains où l'armée aérienne intervient, l'Algérie est appelée, toujours, selon lui, à revoir sa stratégie. L'Algérie n'a pas encore appris à identifier les causes de ses feux pour mieux gérer la situation, atteste Valentina Garavaglia, experte à la FAO.

Le réchauffement climatique : 2C de hausse de température

L'Algérie verra sa température augmenter de 2°C, selon le rapport de la FAO et d'ici 2100, le mercure affichera une hausse de 2°C à 4°C accompagnée d'une baisse des précipitations jusqu'à moins 40%. Les périodes de sécheresse seront plus longues et régulières et des orages catastrophiques causant des érosions sont également prévus. «Le réchauffement climatique provoquera des variations dans le cycle vital des insectes et favorisera l'apparition de nouvelles maladies», prévoit Valentina Garavaglia. Mohamed Harroun estime par ailleurs que la nature de nos arbres ne supporterait pas ce changement.      

Les maladies et les insectes : 217 000 hectares ont été dévastés par les insectes en 2010


Alors que les experts expliquent la forte présence des insectes et des maladies par le réchauffement climatique, Nadia Brargue Bouragba, maître de recherche en écologie et entomologiste à l'Institut national de recherche forestière de Djelfa, évoque «les graves erreurs du Barrage vert», planté dans les années 1970 pour lutter contre la désertification : d'abord, la particularité des sols de chaque région où ont été plantés les arbres n'a pas été étudiée. Autre erreur : le choix de la monoculture (pin d'Alep). A Djelfa par exemple, la plantation de cet arbre est fortement déconseillée en raison de la présence des dalles de calcaire dans le sol qui empêche le pin d'Alep de se développer et entraîne l'apparition d'insectes défoliateurs (chenilles processionnaires ou tordeuses des pousses du pin) et xylophages extrêmement ravageurs, car ils se développent d'une manière incontrôlable dans le reboisement. 

La politique timide de reboisement : 404 000 hectares d'arbres plantés en 2010

«L'Algérie est condamnée à adopter une stratégie de reboisement plus large», affirme Mohamed Harroun. S'il n'y a pas assez de végétation pour protéger le sol, nous risquons une forte érosion et la perte complète des terres. Nous avons besoin d'étendre nos forêts. Notre patrimoine forestier est insuffisant. Des perspectives doivent être tracées pour mieux préserver l'équilibre écologique.» La FAO estime par ailleurs que les 404 000 ha plantés en 2010 sont insignifiants. La surface forestière en Algérie représente 1% de la surface totale du pays.  

Le manque de main-d'œuvre qualifiée : 2 écoles de formation seulement à Médéa et Batna
  

Mohend Messoudi, directeur à la recherche à l'institut de la recherche forestière de Tizi Ouzou, relève le manque flagrant d'agents spécialisés, notamment les démascleurs (ceux qui dépouillent les chênes-liège) ou les débardeurs-rouliers. Une soixantaine d'entrepreneurs de la filière liège menacent de déposer le bilan si des mesures exceptionnelles ne sont pas prises dans l'immédiat. Des promesses leur ont été données par le ministre de l'Agriculture. Pour sa part, le ministère de la Formation professionnelle attend encore le feu vert de la direction générale des forêts pour recenser les formations qualifiantes, selon Abbad, sous-directeur des établissements privés. La possibilité d'élargir le système Effis (European Forest Fire Information System), qui apporte un appui aux services des chargés de la Protection des forêts contre les incendies dans les pays de l'Union européenne et fournit des informations actualisée sur les feux de forêt, en Europe, au service de la Commission et le Parlement européens à la rive sud-méditerranéenne est en cours. Des formations sont déjà lancées, selon Reinhard Alexander Kastl.        

L'absence de culture verte : 1 centre d'études environnementales au profil des enfants à Guebès en cours de réalisation   

Les experts sont unanimes pour dénoncer l'incivisme. «La culture verte est quasiment inexistante en Algérie», regrettent-ils en reconnaissant que les autorités ont bien conscience de la nécessité d'intégrer le grand public dans leur stratégie, notamment à travers les médias lourds. Mais jusque-là, rares sont les démarches entreprises pour sensibiliser sur les forêts. Les experts qualifient l'absence d'un programme spécial dans les programmes scolaires comme un «drame». Mohend Messoudi raconte avec détresse les efforts qu'il fournit régulièrement pour accéder aux lycées et dispenser des cours sur l'arbre. Mohamed Haroun relève également le manque de sévérité envers les délits commis.