vendredi 1 mars 2013

Vers une société postcarbone

Par Hugues de Jouvenel, à propos de l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre
Éditorial de la Revue futuribles, n° 392, janvier 2013

Bonne année chère lectrice, cher lecteur. Je vous avais annoncé que la revue Futuribles deviendrait bimestrielle à partir de janvier 2013. Voici donc le premier cru de cette année nouvelle, dont j'espère que vous apprécierez le contenu. Fidèle aux préoccupations qui ont toujours été les nôtres, ce premier numéro de l'année est très largement consacré à l'essor de la société postcarbone ainsi qu'à la croissance verte.

Les lecteurs de Futuribles sont bien au fait des défis planétaires liés à la hausse de la demande en énergie, notamment celle d'origine fossile, et au changement climatique, qui résulte très largement des émissions croissantes de gaz à effet de serre, défis auxquels nous avons déjà consacré une large place dans les colonnes de notre revue. Peut-être même ont-ils noté la publication récente de trois études plus alarmantes les unes que les autres, qui révèlent combien, faute d'actions vigoureuses, s'aggrave le risque d'un réchauffement climatique dépassant largement les 2 °C en 2100 par rapport à 1990.

L'échec de la 18e conférence de l'Organisation des Nations unies sur le climat, qui s'est achevée le samedi 8 décembre à Doha (Qatar), ne leur aura pas non plus échappé : la déclaration finale se contente de réaffirmer l'ambition d'adopter un accord lors de la conférence suivante, en 2015, pour une entrée en vigueur en 2020. Le Canada, le Japon et la Russie ont décidé de se retirer du processus de négociation dans lequel les États-Unis eux-mêmes n'étaient jamais entrés. Seuls l'Europe, l'Australie et une dizaine d'autres pays — ceux-là ne représentant ensemble que 15 % des émissions — ont renouvelé leur engagement. Le tiendront-ils ?

Nos lecteurs sont assurément familiers de l'objectif « facteur 4 » (visant à diviser par quatre le volume des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050 par rapport à leur niveau de 1990). Celui-ci a en effet été inscrit, en France, dans la loi de programmation de juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique du pays, et a ensuite été réaffirmé par les lois Grenelle I et II, puis à nouveau par le président de la République lors de la Conférence environnementale de septembre dernier.

Dans la même optique a été constitué un « Conseil national du débat sur la transition énergétique », qui s'est réuni pour la première fois le 29 novembre 2012 et doit, une fois de plus, orchestrer un large débat censé conduire, en 2013, à une loi de programmation sur l'énergie. La question finit par se poser : n'y a-t-il en ces matières que de vaines palabres et une inflation de textes législatifs et réglementaires ? Heureusement, non.

En témoigne, par exemple, le programme copiloté par la Mission prospective du ministère français de l'Écologie et l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), « Repenser les villes dans une société postcarbone », dont le rapport final est prévu en 2013 et sur lequel s'appuie notre dossier spécial coordonné par Jacques Theys et Éric Vidalenc. Pourquoi s'être concentré sur les villes ? Parce qu'elles contribuent pour plus des deux tiers à la consommation mondiale d'énergie et pour plus de 70 % aux émissions totales de CO2.

Mais aussi, affirment Jacques Theys et Éric Vidalenc, parce qu'elles maîtrisent en grande partie les leviers indispensables pour promouvoir une société postcarbone (le foncier, le logement, les transports…). Et que, de fait, de nombreuses villes européennes (Göteborg, Malmö, Fribourg-en-Brisgau, Copenhague…) jouent aujourd'hui un rôle pionnier. Que peut-être, comme l'affirme plus généralement Jean Haëntjens, « pendant que les États s'épuisent à courir après une croissance qui les boude, certaines villes […] préparent l'avenir ». En somme, tout se passe comme si le slogan « penser globalement, agir localement » correspondait bien aux pratiques que l'on observe aujourd'hui.

Et, cependant, on voit combien, plutôt que d'opposer le local au global, il est nécessaire de travailler simultanément à différentes échelles géographiques, comme du reste en intégrant les différentes échelles de temps. Un exemple à lui seul en témoigne. Le président de la République française a indiqué vouloir privilégier l'efficacité énergétique et la sobriété. Il s'est même engagé à mettre aux meilleures normes environnementales un million de logements neufs et anciens par an [1].

Nous pourrions tout aussi bien affirmer l'objectif d'abolir l'usage des automobiles particulières ou, du moins, leur circulation. Le problème est que nous devons aussi tenir compte d'inéluctables inerties — liées, par exemple, au bâti et à son implantation spatiale, que nous ne saurions renouveler du jour au lendemain. Sans même parler ici des contraintes financières, qu'il s'agisse des revenus des ménages ou des finances publiques qu'il faudrait mobiliser en dépit des restrictions actuelles...

Maintenant, tout le monde s'accordera à reconnaître que, plus long est le temps nécessaire pour opérer ces transformations, plus tôt il convient de les entreprendre, et que nul ne saurait se dispenser d'innover au prétexte que les autres s'en abstiennent.

[1]. « Discours d'ouverture de François Hollande à la Conférence environnementale », 14 septembre 2012, portail du gouvernement. URL: http://www.gouvernement.fr/gouvernement/discours-d-ouverture-de-francois-hollande-a-la-conference-environnementale-le-14-septem. Consulté le 12 décembre 2012.

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