mardi 19 février 2013

Pillage du corail à El Kala : comment lutter contre les réseaux transnationaux ?

Naima Benouaret, à propos du trafic du corail et des moyens mis en œuvre par la wilaya d'El Tarf pour lutter contre ce phénomène
El Watan, 16/02/13

Le trafic du corail atteint des proportions qui appellent une réaction plus énergique des pouvoirs publics. La nouvelle et jeune équipe, fraîchement installée à la tête des services de sûreté de wilaya d'El Tarf, semble déterminée à contrer les réseaux de plus en plus organisés et voraces. Elle est animée d'une grande volonté de s'attaquer au vrai mal, celui de la contrebande à grande échelle, et projette de mobiliser de gros moyens humains, logistiques et techniques pour la traduire sur le terrain.

La pêche illicite et la contrebande du corail sont au cœur des priorités. Des instructions fermes ont été données par notre hiérarchie pour mener une lutte sans merci contre ce phénomène qui, faut-il le reconnaître, a pris ces derniers temps une ampleur sérieuse», a indiqué le commissaire, Karim Labidi, chef de la cellule de communication. Pour lui, c'est contre de véritables groupes criminels organisés transnationaux, composés d'Algériens, Tunisiens et Italiens, qu'il est question de lutter. En se frottant à leurs pairs de la mafia du corail de Naples, l'une des plus puissantes au monde, les trafiquants locaux se sont, en effet, initiés aux pratiques mafieuses les plus modernes et sophistiquées, explique-t-il, ajoutant : «Ils ont fait de la paisible ville touristique d'El Kala le carrefour du grand trafic, la nouvelle route du crime, où se mêlent, désormais, trafic de drogue, prostitution et grande délinquance et nous ferons tout pour les identifier et mettre un terme à leurs agissements.»

Les revenus drainés par le commerce illicite du corail sont, en effet, si importants et les tentations telles que même des médecins, des avocats, des commerçants et des jeunes promoteurs ayant bénéficié des dispositifs d'emploi (CNAC, Ansej) ont décidé de mettre la main à la pâte, déplore le responsable. Selon lui, les 92 kg de corail saisis, les 17 personnes interpellées et la vingtaine d'affaires traitées en 2012 ne sont que le début de la vaste campagne lancée par ses services ainsi que ceux de la Gendarmerie nationale qui, pour sa part, a saisi près de 120 kg, pour combattre avec efficacité le phénomène. «Outre la répression, nous avons été instruits par le DGSN et le chef de sûreté de wilaya de multiplier les actions de sensibilisation auprès des populations, notamment la jeunesse, sur les méfaits au triple plan économique, environnemental et sociétal induits, par le phénomène.

Dans un contexte où la criminalité ignore les frontières, il est indispensable d'avoir une approche globale de la lutte contre la criminalité et de renforcer la coopération, en particulier entre les instances judiciaires répressives, sans oublier la société civile qui a un important rôle à jouer. Pour nous, la lutte contre la criminalité organisée, sous toutes ses formes, est un des défis majeurs à relever.» Du côté des gardes-côtes, les plus concernés, c'est le black-out. Le chef de la station maritime principale de Annaba s'est refusé à toute déclaration : «Nous ne sommes pas autorisés à faire des déclarations à la presse. Faites-nous un écrit officiel que nous allons adresser à nos supérieurs de la région qui vont, à leur tour, saisir leurs chefs hiérarchiques à Alger. Et ça risque de prendre beaucoup de temps.» C'est à croire que la pêche illicite du corail relève du… secret d'Etat.

Pour un ex-haut responsable des Douanes, actuellement à la retraite, «le trafic du corail est un domaine très complexe et sensible. Son interconnexion avec le trafic de drogue est aujourd'hui établie, il est sous le contrôle de personnes très puissantes que nul n'arrive à identifier ni à toucher», et de s'interroger : «Que représentent 200 kg saisis en 2012 par les policiers et les gendarmes d'El Tarf, sachant que des milliers d'embarcations sont déployées chaque jour par les groupes criminels dans la pêche illicite, si ce n'est des miettes. Nos ressources sont inestimables, à ma connaissance, les plus grandes au monde ?» Formel, notre interlocuteur, qui a eu à gérer les postes-frontières sensibles, points de passage privilégiés des réseaux contrebandiers – Bouchebka (Tébessa), El Hdada (Souk Ahras), Oum T'boul et El Ayoun (El Tarf) – lâchera : «En Algérie, tout le monde sait que si une affaire éclate au grand jour, ce sont les petits trafiquants qui servent de boucs émissaires.

Au-delà, les protections jouent, influant sur le fonctionnement des services de répression, tous corps confondus. En observant la stratégie du grand trafic et de la grande fraude, durant ma longue carrière, j'avais l'impression qu'un certain état d'esprit était entretenu à la base pour mieux justifier les excès du sommet. En d'autres termes, le système mis en place dans notre pays permet de faire rendre gorge aux petits trafiquants et de transiger avec doigté lorsqu'il s'agit des grands.» Et c'est justement aux infranchissables remparts dressés pour protéger ces derniers, que risquent de se heurter les jeunes policiers, gendarmes ou douaniers dans leur lutte contre le trafic et la contrebande du corail en Algérie. Car l'enjeu n'est pas des moindres : les profits engrangés s'élèvent à plus de 5 milliards de dinars pour les trafiquants nationaux et à des dizaines de millions d'euros pour leurs partenaires en Tunisie et en Europe.

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